Chapitre 106

Ah ! Ils sont arrivés. Sophie se gare dans l’allée. Vous reconnaissez le grand séjour du déjeuner d’après Pâques, même si le mobilier a changé, plus moderne, plus léger, toujours pas bien beau. Impossible d’anticiper ne seraient-ce que les minutes à venir. Vous ne lâchez pas Aline du regard et de l’esprit, l’un et l’autre affolés.

Je regrette tellement d’être venue. Qu’est-ce que je fais là ? Ben mince, j’ai la tremblote ! Et voilà le paternel qui déboule de derrière la grande table-buffet. Sans un sourire, sans un bonjour :

– Dans l’arrière-cuisine.

C’est ça : retour à la case départ. Direct. Fallait pas rêver, ma vieille. C’est bien sa voix de colère, rauque et saccadée. Je me sens comme à quinze ans. En danger. Et puis, je ne peux même pas reculer, les fesses coincées par l’étagère des confitures et des conserves. Son visage touche quasiment mon visage. Son haleine au whisky couvre les odeurs de pomme et de cirage.

– Sophie a insisté, mais sache que je ne voulais pas que tu viennes. Je n’ai jamais regretté de t’avoir jeté dehors et quand je te vois, … Non, mais, regarde-toi ! Tu n’es bon qu’à salir notre famille, raconter des horreurs. Appeler les flics ?! Toi !? Alors je vais te dire : tu te fais discret. Tu viens à l’église, soit, mais après, tu rentres chez toi. Ici, c’est pas un zoo.

« Respire ! » osez-vous à Aline qui semble avoir oublié de le faire pendant qu’elle regarde ce père tourner les talons en emportant sa rage bestiale.

Qui est cet homme qui vient de me faire un trou dans le ventre ?

« C’est pas un homme ! », lancez-vous à tout hasard. « Euh, va-t’en ! » ajoutez-vous. « Rentre chez toi. Ça suffit. »

En même temps que ces injonctions, fort désordonnées, il faut bien l’avouer, vous vous demandez si les chercheurs de l’ASPP envisagent de développer l’application pour permettre au-delà des pensées, des images et des mots, d’échanger des gestes. Parce que là, vous rêvez de la tenir dans vos bras votre Aline. Déjà, ça l’empêcherait de s’écrouler et de se faire du mal. Elle n’a pas l’air de vraiment tenir debout.

 

Si vous pensez qu’il serait bon qu’Aline parle avec sa mère, qui saura peut-être l’accueillir comme son enfant :

Si vous ne fondez aucun espoir sur cette femme, et pensez même que Sophie fait partie du même clan :

Si vous pensez que la mère ne saura jamais accepter Aline telle qu’elle est, mais que Sophie a su faire un pas vers ce frère-sœur (elle est encore un peu perdue) et qu’une nouvelle ère s’ouvre pour ces deux êtres :