Chapitre 114

Pleine d’appréhension, Aline passe la porte et trouve sa mère dans la cuisine, un peu boudinée dans son tailleur noir. Elle est manifestement en train de s’occuper du cocktail qui suivra la cérémonie.

– Maman ? Maman, regarde-moi.

Ce que vous voyez dans l’écran de contrôle, c’est une femme grise et verrouillée qui continue à couper un cake aux olives comme si elle voulait l’assassiner. Elle lève enfin les yeux et dans son regard clair vous lisez une haine si vive et brûlante, que vous reculez, tout comme Aline qui fait un pas en arrière. Elle attaque, remuant le couteau dans les airs à vous faire frissonner :

– Te regarder ? Tu t’imagines à quel point c’est impossible ? J’ai perdu un fils le jour où … J’ai dû mentir à mes propres parents ! Pendant des années ! Te rends-tu compte de ce que tu nous as fait ? Comment leur expliquer cette accusation ? Enfin, bon, ils ont compris qu’on ne pouvait pas garder un pervers comme toi à la maison. Papa a d’ailleurs totalement approuvé notre choix courageux. Tu vois, il était très préoccupé par la situation. Tu réalises que tu nous as détruits ? Et ta sœur ? T’y as pensé à ta sœur ?

– Oui, bien s…

– Tais-toi ! Papa était un homme si bon et si généreux. Je lui dois tout. Nous lui devons tout. Que viens-tu faire ici, toi qui l’as insulté ? C’est mieux si tu pars.

Et comme elle n’en a pas assez, elle ajoute :

– Faut-il être pervers pour accuser son propre grand-père? Qui sait si ce n’est pas toi qui embêtais ta sœur, hein ? Qui sait ?

Embêter ? Votre cliente suffoque. Il avait peut-être bien raison ce Matt que vous avez mal jugé : voyage inutile et dangereux. D’ailleurs, dans la tête d’Aline, les questions se bousculent :

Pourquoi ai-je si mal ? C’est Matt qui avait raison ? Que suis-je venue chercher ici ? Où est passé l’amour de ces êtres pour moi ?  A-t-il au moins existé ? En vrai, je veux dire. N’en reste-t-il pas juste une trace, un souvenir, une miette ?

Mais en fait, la vérité n’a toujours pas sa place ici ! Alors oui, c’est vrai, je n’ai rien à y faire. Je dois partir et tout de suite.

Cette mère est définitivement du côté de son père et de son mari.

Les parents d’Aline ne l’accepteront jamais, mais Sophie a fait un pas vers son frère et vous sentez qu’une nouvelle ère s’ouvre pour ces deux êtres :