Chapitre 7

Au fur et à mesure de vos déplacements, vous maîtrisez de mieux en mieux l’engin qui permet votre mobilité. Une recherche sur votre téléphone vous indique que la boutique dans laquelle vous souhaitez vous rendre se trouve à vingt minutes de marche. Le problème, c’est qu’avec votre fauteuil roulant ce trajet risque de vous prendre beaucoup plus longtemps…

Par dépit, vous faites le choix douloureux de devenir une personne moins exécrable et de daigner prendre les transports en commun. Cette expérience vous permettra au moins de vous rapprocher des gens, et peut-être même de devenir une meilleure personne. Le tramway arrive et ses portes s’ouvrent devant vous. Normalement, le trajet ne devrait pas durer plus de cinq minutes. Cela ne devrait pas être si horrible après tout. Les personnes autour de vous semblent vous fixer. Visiblement, elles sont disposées à vous laisser la priorité. C’est bien le premier avantage que vous percevez à votre handicap ! Prenant un air sûr de vous, vous tentez de vous engouffrer dans le tramway tandis que vos roues avant se bloquent violemment dans l’espace entre le quai et la rame. Intérieurement, vous maudissez les pouvoirs publics qui n’ont visiblement rien fait pour permettre une accessibilité des transports en commun qui ne vous semblent soudainement plus si communs que ça.

Tout à coup, vous sentez que quelqu’un vous tire en arrière, une femme brune d’une trentaine d’années a empoigné votre fauteuil pour vous extraire du trou dans lequel vos roues sont désespérément coincées. Tandis qu’elle vous pousse à l’intérieur du tramway, vous songez qu’elle aurait pu vous demander votre avis avant de vous prendre en charge. Cependant, il reste incontestable qu’elle vous a tiré d’un mauvais pas et vous la remerciez de son aide. L’inconvénient, c’est que vous vous rendez compte que le plus dur reste encore à faire. Votre cerveau s’active pour déterminer la trajectoire optimale. Avant le redémarrage du tramway, vous devez rejoindre l’emplacement spécifiquement prévu pour les personnes en fauteuil roulant et enclencher vos freins. Tant bien que mal vous traversez la masse de passagers qui se meuvent avec lenteur et atteignez votre objectif, puis serrez vigoureusement les freins, enfin. Contre la paroi, une ceinture spéciale se balance. Vous refusez cependant cette possibilité de vous attacher ; une telle perspective vous dérange et vous craignez de ne pas pouvoir sortir à temps.

Après toutes ces émotions, vous arrivez enfin en centre-ville, à deux pas de la boutique tant recherchée. Enfin, à deux pas, façon de parler, le chemin sur roues ressemble encore à un sérieux parcours du combattant. Les portes de la boutique ne sont pas automatiques et tandis que vous tentez vainement de vous débattre afin de réussir à ouvrir la porte tout en avançant votre fauteuil, un vendeur vient vous prêter main forte. Vous pestez intérieurement de ne pas arriver à vous débrouiller sans aide tierce.

Le vendeur, toujours à vos côtés, vous demande avec une politesse écrasante s’il peut vous aider. Son sourire est éclatant, c’en est presque impressionnant, et vous lui auriez décerné le prix Nobel de la bienveillance s’il avait existé.