Vous entrez dans l’enceinte de la Halte de nuit en essayant d’avancer malgré le sol de terre et les racines éparses. Une femme joviale avec des cheveux gris et des lunettes rondes vous accueille et vous explique le fonctionnement des lieux. Ici, les personnes sans-abri peuvent venir prendre un repas chaud et dormir dans une petite chambre spécifiquement réservée. Les locaux sont d’allure vétuste, construits à la hâte dans des containers. Il est dix-huit heures et les premiers bénéficiaires vont bientôt arriver. Apparemment, ici, on parle de passagers. En appelant le 115 à des horaires bien précis, les personnes sans-abri de la métropole peuvent être inscrits sur une liste pour accéder aux dispositifs comptant un peu plus d’une cinquantaine de places. Globalement, le nombre de chambres est insuffisant pour accueillir toutes les personnes dans le besoin. Un roulement est donc organisé à raison d’environ une nuitée sur cinq par personne. Par ailleurs, des travailleurs sociaux sont disponibles les après-midis pour aider les passagers à réaliser des démarches administratives et leur donner le moyen de faire des demandes de logements sociaux, de répondre à une offre d’emploi, ou de faire des demandes d’aide.
Le service du dîner commence. Vous rejoignez deux femmes et un homme qui sont déjà en train de sortir les plats du réchaud. En discutant avec eux, vous découvrez qu’il s’agit de membres de l’association Pharma Lyon Humanitaire. Cette association mène des actions de solidarité internationales et locales de son propre chef, mais apporte aussi son aide à des structures de la ville. Devant vous, toutes sortes de personnes défilent pour se faire servir un repas. La plupart ont déjà l’air de bien connaître le fonctionnement des lieux et vous essayez de suivre le rythme du service tant que vous pouvez. Finalement, en quelques minutes, tout le monde est attablé. Le repas en lui-même est aussi très rapide, et malgré les grandes quantités servies, les assiettes se vident assez vite.
Un peu plus tard, à l’écart du groupe, vous discutez avec un passager qui est venu à votre rencontre. Il vous raconte comment sa vie a basculé il y a quelques mois, lorsqu’il s’est subitement retrouvé sans logement en rentrant de voyage. Victime d’une arnaque et ayant tout perdu sur place, il a pu être rapatrié, mais s’est retrouvé sans rien en France. Au fil de la conversation, vous vous enquérez de son entourage, lui demandant s’il n’aurait pas une famille ou des amis pouvant l’accueillir. La cause de sa réponse négative vous glace : « par dignité ». C’est une chose à laquelle vous ne pensiez même pas, la dignité humaine. Depuis le début, vous voyez ces personnes comme des sans-abri plutôt que des êtres humains. Et par conséquent, vous aviez mis leurs sentiments personnels et leurs considérations de côté.
En fin de soirée, un autre bénévole vous propose de visiter le « Vestiaire solidaire ». Une espèce de grande salle dans laquelle tout le monde peut laisser des vêtements qui seront utiles à d’autres. Saluant cette initiative, vous indiquez que vos placards sont pleins à craquer de vêtements que vous ne portez plus. D’ailleurs, vous ajoutez que vous pourrez même donner d’anciennes mallettes d’ordinateur que vous n’utilisez plus ! Mais à ces mots, le bénévole vous lance un sourire crispé. Il vous explique avec tact que le don, même s’il est toujours généreux, doit être réfléchi afin d’être réellement utile. Un don inadapté peut s’avérer délétère.
Tout en médiant ses paroles et en vous promettant de revenir un autre jour, vous ressentez un sentiment d’accomplissement. Le sentiment d’avoir fait le tour de ce que vous deviez voir. Le cœur léger, vous rentrez chez vous.