Vous assistez à un dîner de famille. L’ambiance est joviale et vos parents vous ont permis un verre de vin. Votre oncle amuse la galerie avec cette blague qu’il a déjà racontée cent fois, vos petits cousins se lancent des boulettes de mie de pain en bout de table. Bientôt, parents et grands-parents engagent une joyeuse discussion. Et cette idée qui vous terrifie et vous démange à la fois ressurgit : vous ne leur avez pas encore avoué votre homosexualité. Cette idée qui vous glace le sang et qui vous brûle la gorge semble de plus en plus une évidence… Vous regardez votre père et votre mère, côte à côte. Ils ont l’air si heureux…
“Leur dire ? Ça ne va pas la tête ?”
Vous détournez le regard, ayant un peu honte d’y avoir songé. Pour oublier votre bêtise, vous prenez une gorgée de vin. Le goût amer se diffuse dans votre bouche, ce qui vous amène à reconsidérer les faits. Après tout, votre père et votre mère ne vous ont-ils pas enseigné la tolérance par la religion ? Vos parents ont élevé, aimé et aimeront toujours leur enfant, quoi qu’il arrive. Vous vous levez avec détermination. Vos proches n’ont majoritairement pas remarqué que vous êtes debout, mais certaines têtes se sont levées, intéressées : Hum… Papa, Maman, j’ai quelque chose à vous dire… Je suis homo.
Le silence pesant qui s’installe d’un coup met fin à tous vos espoirs. Vous avez l’impression que le monde entier vous regarde et vous pouvez voir sur chaque visage la chose que vous redoutez le plus : le dégoût.
Puis soudain, votre père éclate de rire. Un rire fort, gras, qui s’accompagne bientôt de tous les rires, même ceux des enfants. Et leurs intentions malsaines sont si claires que vous pouvez entendre leurs pensées.
Vous quittez la table, les larmes ruisselant sur vos joues, en emportant tous vos rêves et vos espoirs. Vous montez dans votre chambre, enfournez le plus d’affaires possibles dans un sac, puis descendez en trombe pour claquer la porte et quitter sur votre vieux vélo ce foyer où vous viviez depuis quinze ans. Un vent froid vous accueille dehors. Vous pédalez rageusement sous le ciel gris et la nuit noire qui ne fait que commencer. Que voulez-vous faire ?