Quand je suis rentré chez moi, mes parents, installés dans le salon, avaient leurs têtes des mauvais jours. Quand ils ont vu la mienne de tête, ils ont tout de suite compris que quelque chose clochait. Ils ne mettent pas longtemps à découvrir ce que j’essayais de cacher. Mon père est entré dans une fureur noire. Ma mère s’est mise à crier sur moi et à m’accabler de tous les maux. La tension augmentait de plus en plus. J’ai craqué : je les ai insultés ; je leur ai craché au visage tous les reproches que je n’avais encore jamais formulés devant eux. J’ai énuméré toutes les violences que j’avais subies, psychologiques ou physiques. Chacun d’entre nous hurlait pour couvrir la voix des autres. Soudain, mon père s’est mis à me gifler, si fort que je suis tombé au sol. Comme je savais qu’il ne saurait pas s’arrêter, j’ai pris la fuite par la porte-fenêtre. J’ai escaladé le mur du jardin sous les vociférations de mon daron. Je savais que je ne pourrai plus jamais revenir.
Dans la rue, j’ai erré, complètement hébété. Je n’en revenais pas de l’audace que j’avais eue, moi qui n’avais jamais osé me confronter directement à mes parents jusqu’à ce jour. J’ai marché pendant des heures. À la nuit tombée, j’ai connu la peur. Peur de la nuit. Peur de la rue. Peur du futur… Mais en même temps, je me sentais grand. Grand et fier. Enfin sûr de moi, enfin libéré. Je ne rentrerai pas. Plus jamais.
Après cette longue déambulation dans la ville, j’ai fini par me trouver face à une sorte d’impasse devant laquelle un groupe de personnes plus ou moins débraillées discutait de façon animée. J’ai compris être devant un squat et ses occupants. J’ai pris part à la conversation, courageusement. Depuis mon départ de chez moi, plus rien ne semblait pouvoir m’arrêter. Etrangement, personne n’a semblé surpris de mon intrusion dans la discussion. Tout le monde a continué de parler comme si j’avais toujours été là. Une personne est arrivée avec des bières et des chips, et tout le monde s’est installé sur les sièges de fortune qui se trouvaient là : poubelle renversée, siège de bureau sans rembourrage, seau en fer … J’ai fait de même.
Après ce “repas” bienvenu, je me suis senti ragaillardi. Je plaisantais avec les autres, et ensemble nous refaisions le monde. Personne ne m’a parlé de moi, ni ne m’a demandé d’où je venais. J’ai sympathisé plus spécialement avec un jeune d’environ mon âge, qui semblait revendiquer une vie nomade et libre. La soirée s’est éternisée. Quand la nuit devint vraiment noire et que le froid commença à se faire trop sentir, l’ensemble du groupe s’est dirigé vers l’intérieur du bâtiment dont la porte était légèrement dissimulée au fond de l’impasse. Je leur ai emboité le pas. Mon nouvel ami m’a indiqué le matelas sur lequel je te parle, un coin qui semblait libre, toujours sans poser aucune question. J’ai compris que je pouvais m’y installer. Ici sera ma nouvelle demeure !